Témoignages
TÉMOIGNAGE D’ANDRÉA TREMBLAY, ILNUE DE MASHTEUIATSH
« Ayant fait toute ma scolarité dans le système d’éducation québécois, ma prise de conscience s’est faite plus tard à l’adolescence. Quand j’ai vu la différence entre l’éducation publique québécoise et l’éducation des jeunes de ma communauté, j’ai constaté à quel point les élèves québécois, au sens large, en apprenaient peu sur notre histoire et sur nos cultures. Je ne pouvais plus m’empêcher de remarquer tout ce qui n’était pas enseigné, par exemple les enjeux contemporains des Premières Nations. J’ai aussi réalisé que je ne me reconnaissais aucunement dans ce milieu dans lequel j’avais pourtant grandi, que ce soit [sur le plan] des repères culturels [ou] des valeurs auxquelles je ne m’identifiais pas. Ce manque d’appartenance et la représentation quasi inexistante, même une fois à l’université, ont rendu mon parcours plus difficile. Selon moi, le seul facteur m’ayant aidé est que j’étais habituée au système depuis mon enfance, comparativement à des gens de mon entourage qui avaient grandi dans la communauté et pour qui le sentiment de dépaysement était encore plus flagrant. »
TÉMOIGNAGE D’EVE PICARD, ÉTUDIANTE UNIVERSITAIRE INNUE DE PESSAMIT
« Pour ma part, je considère qu’il est important d’avoir un sentiment d’appartenance auprès d’un établissement scolaire afin de pouvoir se sentir bien et [d]être à l’aise avec les autres. Cependant, il peut arriver que ce sentiment ne se crée pas dès le départ. Par exemple, moi, je me sentais à part des autres élèves en raison de ma culture autochtone qui est, selon moi, différente de la culture québécoise, sans [parler] des mentalités et des idéologies. Donc, il peut arriver parfois d’avoir une certaine réticence à l’égard des autres par la peur de se faire juger, de ne pas se faire accepter ou même de se faire rejeter par nos pairs en raison des préjugés liés aux Autochtones. Nous ne sommes pas tous faits du même moule. Voilà pourquoi je constate que les établissements scolaires, dans le système de l’éducation, doivent aborder le concept de sécurisation culturelle par la reconnaissance de l’existence des cultures autochtones [et de] toutes les nations au Québec, l’historique et la compréhension des problématiques liées aux événements vécus, les droits ancestraux [et] l’évolution des communautés autochtones [tout] en tenant compte des réalités actuelles. D’après mes observations et les rencontres que j’ai effectuées, il y a effectivement une méconnaissance des nations du Québec, et ceci même à travers le Canada. Tous ces changements au point de vue de l’éducation permettraient d’avoir une meilleure adaptation des Autochtones et des connaissances à apporter auprès du personnel éducatif afin d’avoir une meilleure compréhension auprès des Autochtones, une ouverture d’esprit, de créer des liens, d’avoir de meilleures relations et de bons échanges culturels. »
TÉMOIGNAGE DE YAN-ABEL CHACHAI, ATIKAMEKW D’OPITCIWAN
« Au début de ma jeune enfance, j’ai compris que l’école est présente dans mon village natal pour apprendre à parler et [à] écrire en langue française. Vers la fin de mon primaire et au début de mon secondaire, j’ai compris que c’est aussi pour avoir une carrière. En grandissant, comment je me suis senti dans le système éducatif québécois? Je me suis senti dans l’obligation de fréquenter l’école. Je me suis senti moins évolué, moins raffiné à l’égard du système sociétal. J’ai [eu] l’impression que j’allais être plus civilisé dans la société actuelle si je [fréquentais] une école du système éducatif québécois. Je perçois que ce système est un moyen d’accoutumance à la culture dominante plutôt qu’à ma culture autochtone. »
TÉMOIGNAGE DE CODY SCOTT SIMON, ÉTUDIANT UNIVERSITAIRE INNU DE PESSAMIT
« J’ai [terminé] mes études primaires et secondaires dans ma communauté. Avec les encouragements de ma famille, de mon entourage et du corps enseignant au secondaire, j’ai pris la décision de poursuivre mes études au postsecondaire, sachant tous les bénéfices et atouts que ça m’apportera sur le marché du travail.
Par contre, il a fallu que je prenne une autre décision [pour laquelle] je n’avais pas le choix. C’était de quitter ma communauté pour pouvoir continuer mes études. [C’était] un grand pas dans ma vie. J’étais content de faire le pas du déménagement pour pouvoir acquérir de nouvelles connaissances. Par contre, mon sentiment d’être content de vivre mon premier déménagement [n’a été] que de courte durée, car [je n’étais] pas préparé à affronter le monde [scolaire] québécois […] Le monde [scolaire] dans ma communauté est différent [de] celui du modèle québécois. [Il y a] aussi le nouveau monde qui est de vivre en milieu urbain, qui est très différent de la vie en communauté.
À mes débuts de mes études au cégep, j’ai frappé un mur à ma première semaine en tant que nouveau cégépien. J’ai rencontré des difficultés à m’intégrer, car je ne connaissais personne et que je n’avais pas de points de repère.
[J’ai été] peu enclin à demander de l’aide, car je ne connaissais pas les services qui […] offerts, […] je ne connaissais pas les autres étudiants dans mes premiers cours, car ils étaient majoritairement allochtones. Je ne connaissais pas non plus le mode de fonctionnement de [l’établissement], ce qui [m’a] amené à vivre mes premières journées assez isolé durant mes cours et à me débrouiller [pour] comprendre mon nouvel environnement, jusqu’au moment où j’ai vu que j’avais des amies de ma communauté qui étudiaient dans le même cégep que moi et qu’on pouvait s’aider [pour] passer nos premières semaines ensemble, pour comprendre le mode de fonctionnement de ce nouvel univers. De plus, après avoir trouvé des repères amicaux et en discutant avec eux, et aussi avec mes professeurs du programme, [on m’a] conseillé d’aller voir l’aide pédagogique individuelle (API) qui est attitrée pour aider, soutenir et orienter les étudiants autochtones du cégep, ce qui m’a permis d’avoir des outils pour m’intégrer dans le monde [scolaire] québécois, du moins m’y sentir plus à l’aise, car j’ai réussi à avoir des points de repère dans un univers que je ne connaissais pas et que j’apprenais à découvrir petit à petit.
De plus, durant mes débuts en tant qu’autochtone vivant en milieu urbain, j’avais des blues de ma communauté, [de] mes amis, [de] ma famille, et […] j’avais déjà hâte de retourner dans ma communauté. Cela me faisait réaliser qu’en sortant de ma communauté, ma sphère sociale et familiale, sur [laquelle] je pouvais compter, était […] loin de moi. Ceux-ci se déroulaient plus en soirée, quand je me retrouvais seul dans mon appartement, et que c’est là qu’on se rend compte que le départ qu’on vit en quittant notre communauté est le plus dur mentalement, car en moins d’une semaine, on se retrouve tout seul en appartement. Avant ce déracinement, on pouvait aller voir nos amis, discuter avec notre famille […] On avait tous nos points de repère, contrairement [à ce qui se passe] dans les premières semaines en tant que nouvel habitant en milieu urbain, où on doit tout recommencer à zéro pour bâtir des sphères sociales.
Maintenant, avec du recul [quand je pense à] mes débuts [aux] études postsecondaires et […] en milieu urbain, je me [rends] compte que je peux mettre un concept sur ce que j’ai vécu. Ce concept est un choc culturel [que] je n’étais pas préparé à vivre. J’avais beau avoir [le] sentiment d’être content et d’avancer en allant étudier hors de ma communauté [ce] n’était pas assez pour affronter le choc culturel qui m’attendait à mon arrivée en milieu urbain. Je crois qu’il sera pertinent [de] préparer les générations futures à […] ce choc culturel en [leur] offrant la possibilité d’atténuer ce choc [à l’aide de] services en lien avec la sécurisation culturelle. [On devra préparer les] nouveaux étudiants autochtones qui se déracinent de leur communauté pour aller étudier [et qui déménagent même] en milieu urbain [parfois] à des centaines [et même à des] milliers de kilomètres de leur communauté. »