Défis et richesses de la rencontre
avec les Premiers Peuples

Le sentiment d’appartenance

Le sentiment d’appartenance est primordial dans l’apprentissage. Il est un moteur de persévérance, de motivation et de réussite scolaires. Se sentir bien à l’école se définit plus précisément par la valorisation, l’acceptation et le respect qui émanent des interactions de l’élève avec les autres. Cela se perçoit aussi par l’implication active de l’élève dans les activités scolaires, et ce, autant dans la classe que dans celles qui regroupent tous les élèves de l’école. L’élève doit être fier de son école, de la fréquenter, et cela n’est possible que s’il sent qu’il a des points en commun avec les autres élèves16. Une des façons de développer ce sentiment d’appartenance chez l’élève autochtone qui fréquente une école en milieu urbain est qu’il puisse se reconnaître dans le système d’éducation, que le contenu présente sa nation, sa communauté, sa culture, ce qui a du sens pour lui, et que ce contenu soit présenté à l’aide de matériel authentique. Qui plus est, chez les Premiers Peuples, les relations positives, y compris celles avec la Terre, les êtres vivants et les ancêtres, renforcent le sentiment d’appartenance au monde et favorisent le désir de bien vivre. Il importe donc que les contenus et les relations pédagogiques, tout comme le climat de classe, reflètent ces principes de pédagogie autochtone. 

Pour mieux comprendre la dynamique entre le sentiment d’appartenance et l’identité culturelle, quelques témoignages d’étudiants et d’anciens étudiants autochtones ont été recueillis afin de dresser un portrait le plus juste possible.

Essor culturel autochtone et réappropriation de l’identité culturelle

La résurgence culturelle autochtone au Québec résulte du processus de décolonisation en cours et s’exprime à travers tous les domaines de la création17. Les Premiers Peuples sont présents dans l’espace public à travers l’art. Au Québec, un nombre croissant d’artistes autochtones viennent redéfinir le paysage culturel.18

En 2017, plus de 70 artistes autochtones se sont réunis à Montréal pour faire un état des lieux sur la situation des arts autochtones, donnant lieu au Manifeste pour l’avancement des arts, des artistes et des organisations artistiques autochtones du Québec (2017). En tant que pionniers d’une transformation sociale, ces artistes y affirment leur rôle d’éveilleurs de conscience et leurs responsabilités relatives à la revitalisation de la culture et au mieux-être des communautés :

Après des siècles de colonialisme, à effacer nos histoires et nos noms, à vider le territoire de notre présence, le temps est venu de réindigéniser nos espaces physique et imaginaire. Le temps est venu de saisir l’héritage des ancêtres/artistes qui nous ont précédés et d’en accélérer l’affirmation légitime. Le temps est venu de transmettre toute la richesse de nos arts et de nos cultures19. (p. 3)

En réponse, le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) a lancé en 2018 un nouveau programme de soutien aux arts autochtones qui offre aux organismes et aux artistes autochtones des occasions de financement adaptées aux réalités et aux spécificités de leurs modes de création, de production et de diffusion. « [La] création autochtone […] fait partie du processus d’expression et de revitalisation culturelles. » (ImagineNative, 2019, p. 8). « [Elle] permet une meilleure connaissance de soi, de ses origines, et de construire un sentiment d’appartenance. » (RCAAQ, 2016b, p. 12) Toutefois, encore plusieurs efforts restent à faire.

La langue 

Pour les Premiers Peuples, la langue, l’identité, la culture et le territoire sont intimement liés21. Bien plus qu’un outil de communication avec le monde environnant, la langue, et surtout la langue maternelle, est le moteur de la pensée et de la création : c’est elle qui permet la naissance des idées22. Il importe ainsi de laisser les élèves penser et échanger dans leur langue maternelle afin de favoriser cette pensée créative indispensable aux apprentissages scolaires.

« Les langues jouent un rôle essentiel dans la vie quotidienne des individus, non seulement en tant qu’outil de communication, d’éducation, d’intégration sociale et de développement, mais également comme gardiennes de l’identité et de l’histoire culturelles, des traditions et souvenirs propres à chacun. Pourtant, malgré leur valeur inestimable, les langues du monde entier continuent de disparaître à un rythme alarmant.  Dans cette optique, les Nations Unies ont déclaré 2022-2032 la Décennie internationale des langues autochtones20. »

Campeau, D. (2021)

La langue n’étant que la plus belle fleur d’une culture, nous ne la dissocions pas de sa tige ni de ses racines. Dans l’attachement que nous lui vouons, nous englobons la communauté dont elle est l’héritière et la gardienne.

Fernand Dumont (1995)

« Parler la langue, c’est l’enseigner, c’est la faire vivre… »

- Aînée membre d’un centre d’amitié autochtone

Langues autochtones du Québec

Il existe trois familles linguistiques autochtones23

Algonquienne

  • Aln8ba8dawaw8gan/W8banaki
  • Anicinabemowin/Anicinabe
  • Nehiromowin/Atikamekw
  • Iiyiyuu ayimuun/Eeyou
  • Innu-aimun/Innu
  • Wolastoqey latuwewakon/Wolastoqiyik
  • Mi'kmawi'simk/Mi’gmaq
  • Iyuw iymuun/ᐃᔪᐤ ᐃᔨᒧᐅᓐ/Naskapi

Iroquoienne

  • Wendat kwawennontahkwih/Wendat
  • Kanien'kéha/Mohakw

Eskaléoute

  • Inuktitut

Enjeux linguistiques

Valoriser la langue maternelle24

  • La non-reconnaissance de la langue maternelle des élèves autochtones entraîne énormément de diagnostics erronés de troubles de langage et d’apprentissage.
  • La valorisation des langues autochtones dans le milieu scolaire peut avoir un impact positif significatif sur le sentiment d’appartenance, l’estime de soi et la persévérance scolaire des élèves autochtones.
  • Le choix de la langue parlée à la maison revient aux parents.

Selon les experts culturels consultés, il est important d’inculquer à l’enfant le respect de sa langue maternelle en l’encourageant à l’utiliser, mais aussi à éviter l’emprunt de vocabulaire français ou anglais dans la formulation de ses phrases. Les vrais mots existent dans les langues autochtones ou sont en voie d’exister. De plus, il est primordial pour les personnes enseignantes de pouvoir se référer à un lexique (avec la phonétique) lorsque des élèves autochtones utilisent leur langue maternelle en classe. Cela les aidera à comprendre la réalité de leurs élèves à travers le vocabulaire de base. Il est important aussi de se rappeler qu’à la base, il s’agit de langues animées ancestrales qui n’ont donc pas de forme écrite. La forme écrite de ces langues s’est développée au fil de la venue des missionnaires, qui ont d’abord écrit aux sons les mots qu’ils comprenaient. Il existe parfois différentes façons d’écrire un même mot. Dans les efforts de revitalisation des langues autochtones, on assiste à une standardisation de la forme écrite, et c’est particulièrement le cas pour la langue innue.  

Témoignage d’Eve Picard

*Quelques particularités des langues algonquiennes25

* Étant donné que ce projet était destiné au départ à des écoles almatoises dont la représentation d’élèves autochtones est principalement composée des nations Atikamekw et Innu, et que des locuteurs innus et atikamekw étaient facilement accessibles, il a semblé intéressant de dresser un court portrait de ces langues en réponse aux besoins du milieu. Toutefois, chacune des langues autochtones est considérée comme une richesse à partager et devrait avoir son propre portrait dans le futur.

L’atikamekw et l’innu sont des langues algonquiennes ancestrales dont l’apprentissage se fait à travers les pratiques traditionnelles, le territoire et l’action, contrairement au français qui est plus propice à l’apprentissage scolaire. De plus, ce sont des langues qui n’avaient pas de système d’écriture avant l’arrivée des Européens, pour qui l’écrit avait une plus grande valeur. Il y aussi, comme pour le français, une variation dans les dialectes. Par exemple, le français parlé au Québec est différent de celui parlé en France. Il en va de même pour l’innu parlé à Pessamit, qui a sa propre couleur et qui diffère de celui de Pakua Shipi. 

Les langues algonquiennes, comme beaucoup de langues ancestrales en Amérique du Nord ou en Amérique centrale, sont des langues dites polysynthétiques, axées sur les verbes, qui comptent pour environ 75 % de la langue contre 20 % pour les noms. Ces verbes complexes peuvent tenir lieu de phrase : on dit qu’ils sont holophrastiques. Le sujet est ainsi indiqué dans le verbe lui-même, ainsi que l’objet. 

Lynn Drapeau nous donne un exemple pour la langue innue :

Par exemple, en innu, le verbe tshikakunishkueuneshinu signifie « il est couché avec son chapeau ». On y trouve la référence au sujet « il » (le -u final), la référence à son chapeau (akunishkueun), le faire qu’il le porte (tshik-) et enfin le fait qu’il (le sujet) est étendu (-shin) plutôt que debout ou assis. Cette phrase française tient donc tout entière en un seul verbe en innu.

- Drapeau, L. (2014). Grammaire de la langue innue, p. 9.

Il n’y a pas non plus d’adjectif, mais des verbes, ni d’infinitif au verbe dont la forme de référence est la troisième personne de l’indicatif présent, qui permet de reconnaître sa racine.

Mot-racine
Il s’agit du mot qui sert à la construction d’autres mots qui ont un sens commun ou un sens qui se rejoint, ou bien une famille de mots. 

Animé et inanimé
Le genre féminin et masculin n’existe pas. On parle plutôt du genre animé et inanimé. C’est donc l’animé et l’inanimé qui définissent comment le mot « réagit » ou qui influencent le mot-racine et ce qu’on fait avec l’objet, comme une autre issue que le mot-racine. Le verbe contribue souvent à déterminer ce qui est animé et inanimé. Il n’y a pas vraiment de règle pour définir ce qui est animé ou inanimé. Il faut apprendre « par cœur » les noms qui sont du genre animé et ceux qui sont du genre inanimé, tout comme on apprend certains éléments ou aspects dans d’autres langues. 

Cependant, certains regroupements peuvent être faits. Par exemple, en innu, mishtiku (arbre) étant de genre animé, tous les noms des autres espèces d’arbres seront de genre animé.

D’un point de vue de l’apprentissage, la prononciation des phonèmes, des syllabes et des lettres est différente en français des langues atikamekw et innue, bien que toutes ces langues utilisent le même alphabet. 

Les langues algonquiennes sont des langues très descriptives et imaginées, imprégnées du territoire qui les a vues naître. Elles constituent une véritable richesse collective. 

Ressources intéressantes pour la découverte de la langue innue : 

Ressources intéressantes pour la découverte de la langue atikamekw : 

  • Conseil de la Nation Atikamekw. (2021). Atikamekw—Ressources de langue—Nehirowimowin. Repéré à https://www.langueatikamekw.ca
  • Sarrasin, R. (2020). Manuel d’initiation à la langue atikamekw. Vérification atikamekw par M. Newashish et N. Petiquay. Québec : Cercle Kisis.
    Disponible ici : Manuel de la langue atikamekw

Héritages toponymiques

Les langues autochtones prennent place quasi quotidiennement dans la vie des Québécois, et ce, à leur insu. En effet, on n’a qu’à penser au nom de la province, Québec, qui vient du mot kapaku (ou kepak), qui veut dire « débarquez » en innu, telle une invitation à la rencontre et au partage…

Au Saguenay, où se trouve le port d’attache de La Boîte Rouge VIF, les toponymes autochtones sont omniprésents. Saguenay, Chicoutimi, Kénogami, Métabetchouan, Ashuapmushuan, Péribonka, Pipmuacan… n’en sont que quelques exemples.  

Les langues autochtones sont des langues très descriptives qui dressent un portrait géographique du paysage au sens propre à travers la toponymie. Ce patrimoine linguistique nous permet d’en apprendre davantage sur les lieux qui nous entourent, sur leur utilisation millénaire par les Premiers Peuples, sur l’ampleur des échanges entre les nations et sur leurs déplacements sur le territoire.

Par exemple, pour le mot Cacouna26, l’origine ne semble pas faire consensus. Cette communauté pourrait tirer son nom de l’iiyiyuu ayimuun avec le mot kakwa (ou kakoua), qui signifie « porc-épic », et nak, qui veut dire « demeure de », ce qui donne « la demeure du porc-épic ». Jusqu’à maintenant, les recherches archéologiques ne semblent pas confirmer que les Eeyou ont été présents dans cette région. Une hypothèse suppose que ce toponyme aurait pu voyager avec les Innus lors de leurs traversées du fleuve. Une autre suppose qu’il s’agirait du mot wolastoqey kakona, qui veut dire « tortue ». Par un simple mot, il est possible d’explorer trois nations et trois langues autochtones pour tenter de retrouver son étymologie dans une poésie imagée du territoire.

Cette richesse des langues autochtones met en lumière l’importance de la rencontre avec les Premiers Peuples et incite à leur découverte, ne serait-ce que pour en apprendre davantage sur notre environnement naturel, découvrir les lieux qui nous entourent et démontrer de l’ouverture à l’autre. 

Comme l’a si bien dit l’auteur ilnu Jacques Kurtness lors des Journées de la valorisation des langues et des cultures autochtones, le 30 mars 2022 :

« La culture québécoise tient ses racines dans la culture autochtone, faudrait s’en souvenir, sinon l’arbre va tomber. »

Pour aller plus loin :

Éléments du patrimoine toponymique autochtone du Québec
https://cartes.toponymie.gouv.qc.ca/autochtone

La toponymie des Algonquins
https://toponymie.gouv.qc.ca/ct/pdf/la%20toponymie%20des%20algonquins.pdf

Modes d’apprentissage privilégiés
chez les Premiers Peuples

Les Premiers Peuples ont une tradition millénaire de transmission de savoirs ancrés dans leur mode de vie et dans le territoire. Ainsi, l’apprentissage expérientiel est prépondérant et dépend des ressources disponibles et de l’environnement dans lequel les personnes apprenantes évoluent. L’expérience concrète est donc centrale aux apprentissages par l’entremise, notamment, des quatre éléments de la nature : le feu, l’eau, l’air et la terre. Tout devient alors contexte pour apprendre, et ce, tout au long de la vie : l’apprentissage ne se limite donc pas uniquement à la relation maître-élève, qui n’est pas envisagée de manière hiérarchique selon les experts culturels consultés. 

Par ailleurs, la pédagogie autochtone est davantage holistique que les pédagogies occidentales, car elle fait appel aux cinq sens et laisse de la place à l’intuition, au ressenti et à la spiritualité27. Selon cette vision, les contenus ne sont pas divisés en disciplines, mais s’imbriquent plutôt les uns dans les autres de façon interdisciplinaire. Les savoirs n’y sont, de ce fait, pas hiérarchisés comme dans les rapports aux savoirs occidentaux qui mettent en avant certains domaines disciplinaires. Selon les experts culturels consultés, l’écriture et la lecture seraient à l’origine de cette hiérarchisation des savoirs au détriment de l’oralité. Or, le savoir détenu par les aînées et aînés se transmet par la tradition orale, l’écoute, l’observation et l’imitation. De plus, toujours selon les experts consultés, il est plus facile de corriger une erreur lors d’un partage fait à l’oral qu’à l’écrit, car les traces écrites peuvent traîner les erreurs pendant plusieurs éditions d’un même récit. Ainsi, la parole (autre que la consigne verbale) tout comme le silence sont des modes de communication chez les Autochtones28 qui ont une place importante dans le processus d’apprentissage.

« Le silence se présente comme un marqueur culturel des Autochtones, un code central et le moyen de se présenter dans le monde contemporain28 ». (p. 1)

De plus, les experts culturels précisent que l’observation, la réflexion et l’introspection font aussi partie intégrante du processus d’apprentissage chez les Premiers Peuples. Ce processus n’est pas circonscrit dans le temps tel qu’on le connaît aujourd’hui dans le système scolaire (division en niveaux de scolarité de septembre à juin au cours desquels des connaissances précises doivent être acquises et évaluées), mais bien par le cycle des saisons qui changent et qui reviennent. Les apprentissages se font donc de manière circulaire où il n’y a pas de hiérarchisation des contenus ni de performance à évaluer.