Pédagogie autochtone
Approche humaniste en enseignement et apprentissage
La perspective humaniste en éducation envisage le développement continu de l’être humain axé sur l’épanouissement personnel et l'actualisation de son potentiel56, c’est-à-dire un développement harmonieux de la personne au regard de ses différentes capacités, ce sans aucune idée de performance, mais plutôt dans l’idée d’un processus toujours à l’œuvre57. Selon Paolo Freire58, il s'agit de faire de l’humain non pas un objet, mais un sujet d’une l’histoire dynamique, c’est-à-dire un être luttant contre les dominations et non un être soumis à ces dominations. Dans cette pédagogie de l’espoir59, l’Éducation doit ainsi permettre à chaque individu d’accéder à la dignité humaine.
Cette approche met de l’avant des activités d’apprentissage favorisant une prise de conscience de la capacité de chaque personne à participer au changement positif en faveur notamment d’une plus grande justice sociale et environnementale. Elle « consiste à donner vie à des idées concernant le pouvoir, l’équité, la démocratie et l’espoir44 » et vise, outre le développement personnel de la personne, « une citoyenneté responsable et démocratique, de même que l’ouverture sur la dimension spirituelle »60.
Dans la lignée idéologique de Dewey (1937), qui accorde une valeur prépondérante à l’expérience, l’éducation humaniste regroupe des concepts liés à la prise en compte de l’individu dans sa globalité, à la poursuite d’objectifs pédagogiques toujours guidés par la recherche d’équité et la bienveillance. Enracinés dans des situations authentiques et portés par le militantisme, l’expérimentation et le passage à l’action sont des prémisses de l’enseignement humaniste44. Cette conception de l’éducation rejoint les principes de base de l’éducation autochtone, tels qu’envisagés par les Premiers Peuples et présentés dans le modèle holistique d’apprentissage tout au long de la vie (CCA, 2007).
Développé dans le cadre de l’action concertée en sécurisation culturelle, FRQSC 2020-2023.
Approche holistique
La conception d’apprentissage holistique prend appui sur la Commission internationale sur l’éducation et l’apprentissage pour le XXIe siècle de l’UNESCO (1996). Cette commission propose une mesure de l’apprentissage holistique s’articulant en quatre piliers correspondant à des types d’apprentissage (Colomb, 2015) : apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble et apprendre à être. Cette représentation puise aux fondements de la pédagogie autochtone.
Si chaque nation autochtone est unique de par sa langue et sa culture, toutes partagent une vision globale du monde et un système de croyances axés sur le concept d’équilibre et d’harmonie de la vie dans la nature (Van Campenhout et Lévesque, 2019). La figure suivante ci-dessous présente le modèle holistique d’apprentissage tout au long de la vie des Premières Nations.
Sources et domaines de savoir
L’apprentissage holistique s’actualise en sources et domaines de savoir représentés par dix racines d’un arbre symbolisant chaque apprenant (soi-même, famille, communauté, ancêtres, clan, nation, autres nations, milieu naturel, traditions et cérémonies, langues) (CCA, 2009). Ces racines viennent nourrir « l’apprenant [qui] puise dans un riche héritage de valeurs, de croyances, de traditions et de pratiques provenant de relations équilibrées entre tous les membres (vivants et défunts) de la communauté » (CCA, 2009, p. 18). De par leur interconnectivité, une carence ou un traumatisme liés à l’une des racines peut entraver l’apprentissage. L’éducation se réalise dans un rapport complémentaire entre les mondes naturels et le monde des humains. La prise en compte des relations à soi, à l’autre, au monde et au territoire exprime ainsi la complexité des liens et des expériences (Toulouse, 2016). En périphérie de l’arbre se trouvent les guides de soutien, les mentors, les parents, les aînées et aînées, et les professeurs qui accompagnent l’apprenant dans son parcours d’apprentissage. Considérés comme des médiateurs de savoirs, ils sont symbolisés par les gouttes de pluie qui abreuvent l’arbre.
Apprentissage tout au long de la vie et dans tous les contextes
Le modèle holistique est évolutif et conçu pour s’adapter aux différentes phases du développement de la personne. L’apprentissage individuel est ainsi représenté par les couches d’écorce d’un arbre qui correspondent aux anneaux de l’apprentissage tout au long de la vie, dans ses différents stades d’évolution. Le cœur du tronc correspond quant à lui aux quatre directions de la roue de médecine autochtone (est, sud, ouest, nord), symbole présent, selon des variations, dans la plupart des cultures autochtones (Brazeau, 2009).
Mieux-être de l’individu et de la communauté
Dans le contexte autochtone, l’individu est indissociable de son environnement social et physique qui se traduit par un ensemble de relations (Kirmayer, Fletcher et Watt, 2009). Ainsi, le mieux-être de la personne comporte à la fois une dimension personnelle et subjective, en plus d’inclure la responsabilité collective d’une quête commune et partagée (Lévesque, Radu et Tran, 2019).
Les relations positives, y compris celles avec la Terre, les êtres vivants et les ancêtres, renforcent le sentiment d’appartenance au monde et favorisent le désir de bien vivre. Le mieux-être passe ainsi par une transformation sociale et culturelle continue, basée sur la transmission intergénérationnelle permettant aux communautés autochtones de se développer, de se renouveler et de se renforcer (Kirmayer et autres, 2009).
[1] Mino Madji8in, en langue anishinabe2, désigne un mieux-être global, harmonieux et équilibré. Ce concept a une résonance dans la plupart des langues autochtones au Québec : Miro matisiwin en atikamekw et Minu inniuin en innu.
Roue de la médecine
Chez plusieurs nations autochtones, la vision holistique du monde est représentée par la roue de la médecine, aussi appelée « cercle de la vie » : l’être humain se développe de façon harmonieuse selon un équilibre entre quatre dimensions indissociables : physique, mentale, émotionnelle et spirituelle.
*L'interprétation symbolique de la roue de la médecine varie selon les valeurs culturelles, les croyances spirituelles et le rapport au territoire.
Le courant socioconstructiviste en enseignement et en apprentissage
Les courants constructiviste et socioconstructiviste en éducation sont issus des travaux de Piaget (1896-1980) et de Vygotsky (1896-1934). Tous deux mettent l’accent sur l’aspect construit des apprentissages par un individu lorsqu’il est confronté à des problèmes qu’il doit résoudre pour apprendre. Si le constructivisme se concentre essentiellement sur le processus individuel de la construction des connaissances, le socioconstructivisme envisage davantage l’aspect social de l’apprentissage qui est vu comme une coconstruction « où l’apprenant développe ses connaissances à travers ses interactions avec les autres »60. Dans une telle perspective, la place de l’imitation est importante. L’imitation est l’aptitude de l’être humain à intégrer des comportements observés chez les autres et ainsi apprendre des autres dans un contexte social et culturel déterminé. Selon Rogers & Williams (2006), c’est par ce chemin que nous nous imprégnons de culture humaine.
Cette conception de l’apprentissage par imitation est reprise dans la théorie de l’apprentissage social et la théorie cognitivo-comportementale61. Selon Albert Bandura, le comportement d’imitation et la capacité d’observation sont à la base de l’acquisition des connaissances, ce qu’il nomme « apprentissage vicariant ». Il est important de remarquer qu’imiter ne se réduit pas à simplement copier, mais que les stratégies et démarches mises en « en voyant faire » permettent la transition vers des activités cognitives de haut niveau62.
L’observation attentive suivie de l’imitation permet d’éviter la (fastidieuse) période d’essais et d’erreurs parfois démotivante. En observant attentivement une personne compétente dans son domaine, l’apprenant devient capable de reproduire un comportement, si son développement cognitif ou physique le lui permet, évidemment. Par ailleurs, l’apprentissage est plus prégnant si l’apprenant est proche et en confiance avec la personne observée ou si leur développement cognitif est similaire, ce qui ouvre la porte à l’apprentissage par les pairs61.
Développé dans le cadre de l’action concertée en sécurisation culturelle, FRQSC 2020-2023.
Les approche par compétences45
L’approche par compétences est une façon d’envisager l’enseignement et l’apprentissage à travers le développement de compétences chez l’élève. Elle implique donc que l’élève soit au centre de ses apprentissages plutôt que la transmission de contenu en tant que tel.
Une compétence est à la base une action, une action soutenue par un ensemble de connaissances pour lesquelles le jugement critique et la mobilisation de ressources interviennent dans le processus.
Il y a trois types de connaissances à la base de la compétence : les connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles. Les connaissances déclaratives sont des savoirs à proprement parler. Par exemple, un certain type de nuages comme les cumulonimbus est associé au temps pluvieux. Les connaissances procédurales sont de l’ordre des savoir-faire, comme apprendre à piloter un avion sur un simulateur de vol. Les connaissances conditionnelles permettent quant à elles la relation entre les deux autres types de connaissances. Le pilote utilise ses connaissances de la météorologie, son savoir-faire à piloter un avion et prend des décisions en fonction du contexte et de la situation dans lesquels il se trouve pour amener tous ces passagers à bon port. Le jugement critique est donc essentiel, car il guide la prise de décisions. Les connaissances sont plus qu’apprises; elles sont intégrées.
L’approche par compétences rejoint la pédagogie autochtone pour son caractère authentique et concret. Elle vise la résolution de problèmes qui s’inscrivent dans une réalité comme celle du monde du travail. Elle présente aussi un aspect multidisciplinaire : la compétence sous-entend la mobilisation de plusieurs ressources, connaissances et aptitudes pour être atteinte. Elle fait appel aussi à la pratique réflexive, à la métacognition et à la rétroaction dans une perspective d’autonomie de l’élève qui réinvestit ce qu’il apprend afin d’ajuster ses prochaines actions.